En train de parler avec Marc, coordinateur de gestion de crise pour les navigateurs de la baie de Tahauku, nous distinguons depuis la jetée du petit port un voilier approchant lentement du large…
Ne répondant pas aux appels radio émis, je me propose immédiatement de l’accueillir avec mon dinghy pour établir un lien entre les autorités et lui. Marc semble heureux de mon dévouement et m’invite à aller à sa rencontre…
De loin, le voilier semble en très mauvais état et en me rapprochant davantage le spectacle devient peu à peu étonnant. Des colonies entières de moules jonchent sa coque, des barbes longues d’une vingtaine de centimètres d’un vert vif permettent d’affirmer au premier coup d’œil que ce bateau a passé de longs jours en haute mer… Le gréement paraît vieux, usé par les éléments, aucun pavillon déployé. Un vieil homme se tient debout dans l’ombre de la petite capote délavée, la barre en bois dans la main droite, l’autre se levant peu à peu pour me lancer un signe lors de mon approche. Arrivé à sa hauteur, je contemple un vieil homme fatigué, les yeux scintillants de bonheur, ne sachant dire un mot…
« Welcome to Hiva Oa ! » lui lançais-je un sourire aux lèvres, les bras écartés, mes mains tournées vers le ciel.
L’homme me fait signe timidement de me rapprocher de son franc-bord, m’attrape fermement la main droite et la serre chaleureusement entre ses deux paumes un peu tremblantes, me rétorquant avec émotion :
« Thank you !! Thank you very much !! I’m so happy for your welcoming and I’m so pleased to arrive here, it’s my seventieth day at sea ! »
A ce moment précis, tout concorde ! L’état du bateau, l’émotion de son skipper, et je tente de réaliser. Ce letton de 73 ans m’explique qu’il vient de passer deux mois et demi en mer depuis les Galapagos ! Son sourire, ses larges sourcils, ses yeux gorgés de larmes qu’il tente de retenir, son visage tout entier décrit alors une extraordinaire émotion ; une véritable délivrance. Seul à bord, son pilote l’ayant lâché quelques jours après son départ, il a tout enduré. Quelques heures par jour à la barre, de longues périodes à la dérive, la peur face aux terribles orages avec leurs grains d’une extrême violence, les tripes nouées lorsqu’il perdit son dinghy dans une houle apocalyptique. Piégé dans les immenses zones de calmes avec son moteur fortement endommagé, sans boîte de vitesse… Ce résumé m’en dit suffisamment pour comprendre l’état d’esprit dans lequel il se trouve ! Je m’empresse alors de transmettre aux autorités locales que le véritable héros du jour est arrivé, et les préviens qu’il viendra dans mon annexe faire les formalités administratives puisqu’il n’en a plus. Le temps de se préparer, je l’informe rapidement de la situation générale.
Evidemment, Uldis vient de passer 70 jours au cœur de l’Océan Pacifique sans communication avec l’extérieur. Totalement coupé du monde il n’est donc absolument pas au courant de la quarantaine que nous vivons… Visiblement un peu choqué et ému lorsque les gendarmes et le centre de crise ont expliqué la situation, cela n’a pas empêché la solidarité des gens de mer d’œuvrer…
Le temps de ses formalités, Caro et moi avons préparé les quelques fruits que nous avions, du lait, d’autres quelques légumes, et un américain lui offrit une bouteille de vin, très rare ici. Uldis au bord du sanglot lorsque je lui portai ces quelques denrées, a bien failli me faire plonger à mon tour dans un bain émotionnel d’une rare intensité…
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