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TABARKA les richesses sont toujours là

Photo du rédacteur: Jérôme DelireJérôme Delire

7h00 du matin.

Le lendemain de notre arrivée à Tabarka, premier port d’entrée en Tunisie après la frontière algérienne.


« BOUM ! Tap tap tap… »

Réveillé en sursaut, je secoue énergiquement Caroline en marmonnant à demi-mot ;




-Caro ! Y’a quelqu’un sur le pont ! On marche sur le…

« BOUM ! Tap tap tap tap tap… »

-Encore !? Viens lève-toi !


J’ouvre le panneau de la descente et me retrouve nez à nez avec une trentaine de personnes sur le quai devant le bateau ! Deux enfants marchent sur le pont, placés par les parents par-dessus les filières pour les prendre en photo « sur le beau bateau ». Les jeunes couples immortalisent une pose glamour devant notre voilier avant de presser le déclencheur, bref, surprise totale ! Un peu gêné, je salue la foule et leur demande gentiment s’ils peuvent éviter de marcher sur le pont du bateau avec des chaussures toutes boueuses, car le problème est là, ce n’est pas notre voilier ! C’est une livraison d’un voilier neuf, à destination de la Croatie. Tous bien aimables, l’ensemble des badauds me salue en retour, mais, voyant sans doute mon embarras face à cette situation, un homme d’une quarantaine d’année s’avance vers moi, une belle tunique blanche, la barbe généreuse, parfaitement taillée, et précise ;


-Bonjour sayidi ! Bienvenue en Tunisie ! Excusez-nous, ici en Tunisie, il n’y a pas vraiment de notion de propriété privée… Si quelqu’un a envie d’aller dans ce jardin, il y va. Même s’il ne lui appartient pas. Avec les bateaux, c’est la même chose… ! Mais je vais leur expliquer, ne vous inquiétez pas…

Je comprends, j’ai vécu quelques années en Europe. Mais imaginez, cela fait bien longtemps qu’aucun étranger n’est venu à Tabarka et la majorité des gens n’a jamais vu un bateau comme le vôtre ici !


Je me rends compte à cet instant que nous sommes tout simplement dans un mode de vie totalement différent. Abasourdi par cet homme qui « s’excuse » du mode de vie tunisien, il me faut un peu de temps pour situer où nous sommes réellement. Pourtant il est vrai que le muezzin nous avait déjà transporté dans un autre univers tôt ce matin, mais notre arrivée tardive la veille nous avait plongé dans un tel état de fatigue qu’il nous fallait prendre un peu de temps pour récupérer !

Bien loin de moi l’idée de porter un jugement sur cette notion de propriété, je me sens un peu obligé de le remercier pour sa compréhension.

Mais à peine nos échanges terminés, la foule se disperse calmement, et un pick-up de l’armée contourne le bassin dans notre direction…

Mon interlocuteur me salue en plaçant sa main sur son cœur, et s’éloigne en enlaçant son fils.

Le pick-up arrive à notre hauteur, 4 militaires dans l’habitacle, 2 dans la benne, et le passager descend de voiture :


-Bonjour sayidi, avez-vous bien dormi ?

-Bonjour ! Oui très bien merci.

-Pour votre sécurité, nous préférons vous demander de vous déplacer vers le fond du port. Il arrive parfois que cette partie-ci du bassin soit mal fréquentée la nuit. Vous serez mieux 200 mètres plus en arrière, si cela vous convient bien sûr !


Etonné de cette sollicitude, j’acquiesce immédiatement en précisant que nous avons un tirant d’eau nécessitant au moins 2,50 mètres de profondeur.


-Pas de problème, il y a 5 mètres partout ici. SI vous avez besoin d’aide pour bouger, nous sommes là. N’hésitez pas à vous adresser au bureau du port, le bâtiment bleu que vous voyez par-là !

-Merci beaucoup, ça va aller, on va se débrouiller. Merci à vous.


Le temps de prendre un café et d’aligner les neurones, on s’étonne tout de même de voir arriver six gaillards armés pour nous dire ça ! Mais réflexion faite, ce n’est sans doute pas une mauvaise idée car il y a un bateau moteur auquel on pourra se mettre à couple. Ça évitera d’avoir les problèmes d’intrusion… De plus, on sera mieux protégé de la tempête qui approche dangereusement et on aura peut-être l’occasion de trouver une connexion électrique pour recharger les batteries.

(En réalité, la place au fond du port est pile dans l’axe d’une caméra de surveillance.)


Sitôt en place, je traverse le quai en direction du bureau du port. Un jeune homme est assis sur les marches et semble rêver en regardant le voilier fraîchement amarré. L’épaisse porte est ouverte et j’arrive dans un grand hall où le maître du port parle à une femme. A la seconde où je semble visiblement attendre qu’ils terminent pour poser mes questions, le regard un peu perdu sur les toiles décoratives qui ornent les lieux, la dame s’interrompt immédiatement, en pleine discussion.


-Bonjour, que puis-je faire pour vous ? s’exclame l’homme.


De suite, je lève la main, en me retournant vers la sortie ;


-Non non je vous en prie, ce n’est pas urgent, continuez, je peux attendre dehors si vous préférez !


Et la dame de s’excuser ;

-Non non, j’ai terminé, je repasserai plus tard ! Pas de problème, venez, entrez !

-Vous êtes sûre ? Moi aussi je peux repasser plus tard vous savez ! lançais-je d’un ton souriant,

-Oui oui, venez, entrez !


Avant que j’adresse un mot au maître du port, il avait déjà parfaitement compris qui j’étais…


-Bonjour ! C’est vous avec le beau voilier n’est-ce pas ?! Je suis venu le voir ce matin très tôt tellement j’étais curieux ! Il est vraiment magnifique ! Vous savez, vous êtes le 4ème visiteur sur l’année ! Cela fait environ 8 mois que nous n’avons plus eu de plaisanciers, et encore moins des voyageurs étrangers…

Vous voulez de l’électricité ? Attendez-moi dehors, il faut que je trouve mes outils et je viens vous aider ! Parce que … c’est un peu spécial ici… !


Je le remercie chaleureusement et reprends la sortie. La dame qui était à l’intérieur quelques minutes plus tôt vient à moi timidement, le jeune homme à ses côtés ;


-Bonjour ! Excusez-moi, c’est vous qui êtes le capitaine du voilier ?

-Bonjour, oui c’est moi.

(Elle se tourne vers son fils et le serre fièrement contre elle)

-Mon fils a 18 ans et il étudie pour devenir capitaine de bateau de pêche !

Et il fait aussi beaucoup de bateau à voile !

-Ah !!? Mais c’est génial ça ! C’est un beau métier !

-Et vous venez d’où avec le bateau ? S’exclame-t-elle.

-De La Rochelle , en France. On est parti il y a 3 semaines.

Les yeux du gamin semblent pétiller d’admiration et je me sens subitement gêné par ce regard rempli de passion et d’espoir…

La femme, sous son beau voile bleu avec ses yeux noisette ne tarde pas à oser ;

-Voulez-vous partager un couscous à la maison !? On serait honoré de vous recevoir !


Et voilà. Depuis quelques heures en Tunisie que nous sommes déjà invités à partager le couscous. Fabuleux.


Le maître de port ne tarde pas à accourir avec ses outils et me pointe du doigt une dalle du trottoir ;


-C’est celle-là !

- … ?


Il soulève la dalle et apparaît un amas de plastique, enrobé dans une épaisse couche de bandes adhésives… C’est un sucre dans lequel arrivent 5 lignes électriques en 220V !

D’accord.


-Oui bon j’admets que ce n’est pas l’idéal... Quand il pleut fort, une fois sur deux, les plombs pètent !

Dit-il en souriant, le tournevis dans la main droite.

Mais il ne tarde pas à ajouter :


-C’est depuis que les espagnols sont partis. Tu vois là on voit encore les vestiges des bornes électriques et d’eau. Avant, il y avait une vraie marina ici. Des beaux pontons, et il y avait des beaux bateaux qui venaient, des bateaux comme le tien. Mais bon, depuis janvier 2011 et le départ de Ben Ali vers l’Arabie Saoudite, les choses ont un peu changé en Tunisie. C’est surtout les investisseurs qui se sont faits la malle les uns après les autres. Tu regarderas, il y a quelques gros hôtels à Tabarka, tous désertés et laissés à l’abandon. Malheureusement, le printemps arabe a refroidi les touristes européens…


Effectivement, la vision de ces hôtels en ruines le long du littoral est assez triste. Mais ce n’est finalement pas important. La vraie richesse, c’est bel et bien l’accueil et la gentillesse dont les tunisiens font preuve chaque jour à notre égard.


Cela étant, pour les européens que nous sommes, nous avons tout de même assisté à quelques démonstrations de force qu’on ne voit pas publiquement en Europe. Je me rappelle de ces hommes, alignés le long du quai des douanes. Cagoulés, à genoux, mains sur la tête et menottés. Une dizaine de militaires les tenant en joue, avec leurs armes automatiques. Suspectés de trafics de drogues, ces pêcheurs algériens avaient été arraisonnés par les douanes, dans les eaux tunisiennes, quelques heures plus tôt. Un passant ne manquant pas de préciser ;


-A Tabarka, c’est comme ça toute les semaines… La frontière avec l’Algérie est juste là.


La Tunisie est aussi (à ce jour), le seul pays visité où nous avons eu ordre de l’armée de transmettre nos données (identité, position GPS, cap,vitesse,…) toutes les 3 heures, tant que nous naviguions dans les eaux territoriales. Et s’il nous arrivait parfois d’oublier la transmission, nous étions immédiatement remis à l’ordre avec un appel peu sympathique !




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