Odyssée américaine
- Jérôme Delire
- 15 avr. 2021
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 avr. 2021

Suite à la question : « Dispos pour ramener un trimaran des USA jusqu’en France ? »
La réponse fut immédiate : « … On va faire en sorte de l’être ! »
Notre visa en poche, (l’ESTA ne suffit pas lorsqu’on navigue dans les eaux territoriales américaines) nos billets d’avion réservés, c’est parti pour New York ! Arrivés sur place, le passage de la Douane est amusant. Première question :
- Monsieur, pourquoi voyagez-vous avec une balise de détresse dans votre bagage ?!
(Nous avions emporté plusieurs balises dont notre EPIRB, en prévision de la traversée de l’Atlantique. Balise que l’on doit prendre en bagage à main car elle contient une pile au Lithium…)
- C’est-à-dire que… On n’est jamais trop prudent m’sieur !
- Bon. (le type repose la balise l’air un peu contrarié…)
- Et ça ?! … Pouvez m’expliquer pourquoi vous avez deux gilets de sauvetage dans vos bagages ?!
- Euh. Ben je suis navigateur quoi. Si je faisais de la moto, je pourrais voyager avec mon casque, non ?!
- Oui bon d’accord. (Soudain un autre agent lui fait signe de la main, problème avec nos valises visiblement… )
- Et ça ?! Qu’est-ce qu’il y a exactement dans cette valise ?!
- Ce sont des câbles m’sieur.
- Des câbles ? (Le sourcil gauche du type vient de s’élever, le regard commence doucement à tourner à la suspicion… et se tourne vers son collègue)
- Allez hop, écartez-vous monsieur. (posant les deux mains sur sa ceinture il s'adresse à son collègue ) Jack : Ouvrez !
- Oui ce sont des câbles, j’en ai besoin pour naviguer. Dis-je d’un ton vif.
Quelques semaines plus tôt, nous avions profité de notre séjour au Danemark, (préparatoire à notre projet de Tour de Monde) pour réceptionner les nouveaux « Waterstays » du trimaran
(Câbles en inox très rigides qui relient les flotteurs à la coque principale) directement au chantier de la marque. Mais le douanier ne sachant visiblement pas quoi faire face à cet amas de ferraille, les collègues appelés en renfort, on est rapidement mis à l’écart de la file principale… On ne sait jamais ! Qui sait… Ces objets peuvent peut-être servir à assassiner le Président… ?! Peut-être s’agit-il d’une nouvelle forme d’attentat terroriste ?! Après moultes explications, factures à l’appui, le douanier (en chef !) fini par balayer un geste de la main en direction de la sortie en ajoutant d’un ton agacé ;
« Welcome to the United States of America ».

On y est !
On découvre rapidement le bateau sur son ber, visiblement posé dans un coin du chantier depuis un long moment… C’est parti pour la préparation ! Deux semaines intensives seront nécessaires afin de nous donner toutes les chances de pouvoir mettre le cap vers les Açores.
C’est souvent le cas : tant qu’on ne vient pas soi-même visiter un pays, on a toujours un certain nombre d’aprioris. On vient avec des idées reçues, notre jugement est parfois modelé par les médias qui parlent de cette région du monde, les quelques expériences personnelles que l’on entend autour de soi… Mais au final, rien ne vaut l’opportunité de se faire une idée des lieux par soi-même ! Et il est vrai, j’avoue être venu aux Etats-Unis avec beaucoup d’idées arrêtées. Par exemple, j’ai toujours imaginé qu’aux USA, les gens étaient très individualistes. Encore plus qu’ailleurs. Que je croiserais des fanatiques de la gâchette à tous les coins de rue et que vu leur adoration pour Jésus, le pétrole, les armes et les bagnoles démesurées, ce pays ne partait pas spécialement gagnant dans ma liste des coups de cœur.
En fait, dès notre arrivée, j’ai eu tout faux.
L’accueil du Yacht Club est extraordinaire, et au fil des jours, au fur et à mesure que les travaux préparatoires du bateau avancent, les gens viennent à nous spontanément.
- Hey ! On m’a dit que des Belges préparaient un bateau pour traverser l’Atlantique ! Je ne les ai pas cru ! Alors je suis venu voir par moi-même ! C’est vous ?! Welcome sailors !
ou aussi ;
- Si vous avez besoin de quoique ce soit, surtout, vous m’appelez
à n’importe quel moment !
Puis un jour, on rencontre des gens qui resteront des amis pour la vie. Lee et Deborah, avec qui on commence par passer quelques soirées au café du coin, jusqu’au moment où il nous invite à plusieurs reprises chez eux…L’arrivée à la maison est toujours amusante et adorable :
« Driiiing » (On actionne la sonnette de la porte d’entrée)
Quelques secondes plus tard, une petite trappe s’ouvre au centre de la porte restée fermée, laissant juste apparaître la tête de Lee, un grand sourire aux lèvres ;
- Ici c’est la porte pour les amis. La porte pour la famille, c’est derrière, près de la cuisine ! Faites le tour, j’arrive !
Chose qu’il s’était bien gardé de nous révéler jusqu’à ce qu’on voit la trentaine de guitares, les trois batteries, les deux pianos, la quinzaine de guitares basses chez lui, Lee est avant tout musicien de renommée internationale ! Accompagnant le grand « BB KING », le roi incontesté du Blues pendant plus de 40 ans, ce guitariste d’exception est passionné de voile. Mais une fois installé sur sa Harley-Davidson, lunettes de soleil, cuir et drapeau américain, on ne s’y trompe pas ! Son âme de rockeur est intacte… Et Lee qui nous a tant aidé pour la préparation à ce voyage n’est pas le seul à s’être distingué…
Les professionnels du secteur nautique ont été ici, les seuls à avoir ce genre de comportement ;
- Ouah. L’Europe avec ce trimaran ; c’est loin quand même ! Dites… est-ce que je peux vous demander de m’envoyer une carte postale quand vous arrivez, comme ça je saurai que tout s’est bien passé !
(Ce qu’on a fait un mois plus tard)
Ou encore, cherchant désespérément un adaptateur de bouteille de gaz pour le bateau, le type derrière le comptoir finit par nous dire ;
- Tenez, j’ai dû retourner tout l’atelier mais j’ai la pièce qu’il vous faut ! Cadeau ! Prenez-la, ça me fait plaisir !
Autre exemple amusant, le trimaran n’avait pas de barre à roue au moment de notre arrivée. L’ancien propriétaire du voilier avait oublié de la remettre à bord, il avait suspendu le bel objet au-dessus de son lit, dans l’espoir de reprendre un jour la mer…
L’ancien propriétaire habite Manhattan. Pas de problème, allons-y !
Arrivés au cœur de New-York, garés en troisième file devant l’immeuble, provoquant une symphonie de klaxons en tout genre, l’objet finit par arriver dans nos mains. On ouvre le coffre de la voiture. La barre ne passe pas, l’objet ne rentre pas. On ouvre les portières arrière. Passe pas. Merde. Hé hé. S’en suit un rire un peu niais. Un rire provoquant chez moi la réaction : « Et maintenant on fait comment ?! On a l’air con ! »
Mais le New Yorkais ne baisse pas les bras ! Il remonte à toute vitesse au 47ème étage de l’immeuble avant de redescendre avec des barres de toit gonflable dont il nous fait cadeau… On a donc traversé tout New-York avec une barre à roue en carbone fixée sur le toit de la bagnole de location !

Bref, toutes les personnes rencontrées nous ont témoigné de l’entraide, de l’affection et une réelle sympathie. Par contre, pour les européens que nous sommes, voir des magasins similaires à « Decathlon » exhiber sur la moitié du magasin, des rayons entiers de couteaux, d’arbalètes, et des armes à feu pour moins de 400 euros, ça reste surprenant ! Il est même possible de choisir son arme avec une couleur flash ; rose, orange, rouge, afin de rendre son engin de mort le plus sexy possible…
Nous voilà fin prêts et vient bientôt le moment de larguer les amarres vers l’Est, mais… comment fait-on une sortie administrative du territoire américain ?!
Nous nous rendons au bureau de la douane et de l’immigration le plus proche afin de glaner quelques informations. L’entrée du bâtiment officiel est comique parce qu’elle est étroitement gardée par un nombre impressionnant d’agents de sécurité, avec contrôle d’identité et passage sous portique de détection, … Bref, à côté de ça, entrer dans l’aéroport de Bruxelles, c’est aussi compliqué que de commander une fricadelle et un paquet à 2 euros. Mais bon. Rien d’étonnant, on achète une arme aussi facilement qu’un gaufrier ici ! Forcément… Pour rentrer dans un bâtiment public, faut une fouille au corps… !
Cela dit, à peine entrés que nous dirigeons vers le 6ème étage où nous finissons par nous perdre dans un dédale de couloirs sombres pendant plus d’un quart d’heure. Grommelant que personne n’ait affiché de pancartes claires, comme par exemple : « Douane, suivez la flèche » ou encore « Immigration, par ici », on finit par tomber un peu par hasard au bon endroit. Heureusement. La déshydratation n’était pas loin.
Timidement, on frappe à la porte.
Pas de réponse. On se décide à entrer, et on tombe devant un comptoir. Deux hommes en uniforme semblent discuter de leur week end passé, un café à la main.
- Bonjour. C’est pour quoi ?
- Euh. Bonjour…
- Oui c’est pour quoi ?
- Voilà… On voudrait savoir quelle est la procédure exacte pour quitter les eaux américaines en voilier ?
- Pour… ? Je comprends pas.
- Oui. Donc. En fait, nous sommes venus en avion et nous repartons en voilier vers l’Europe. Où doit-on faire la sortie du territoire ?
- Quelle sortie du territoire ? C’est quoi ça ?
- Bon écoutez. Notre problème, c’est qu’on va en Europe en voilier. Et que pour entrer sur le territoire européen, on a besoin d’avoir une sortie du territoire de l’endroit d’où on vient !
Vu ?! …
- Ah mais nous, on ne peut pas vous délivrer un document de ce type !
- Oui alors… Excusez-moi, mais là c’est moi qui bite plus un mot de ce que vous bavez. Bon, pour entrer sur le territoire US, on est passé par l’immigration. Oui ?
- Oui oui. Et alors ?
- Et bien maintenant, je veux sortir des US ! Faut bien que quelqu’un me tamponne mon visa, non ?
- Ben non. Si vous voulez partir en voilier, vous vous barrez. Personne vous retient ! Mais par contre attention ! Si vous sortez des eaux territoriales et que vous faites demi-tour, quand vous entrez à nouveau aux US, vous devez contacter directement les autorités pour faire votre entrée !
- D’accord. Mais pourquoi je devrais refaire une entrée puisque je ne suis pas sorti… !?
- Ecoutez, en voilier, vous partez comme vous voulez ! Vu ?!
Voilà, bonne journée, au revoir !
Bon. Effectivement, arrivés aux Bermudes quelques jours plus tard, l’immigration nous dira ;
- Oui on sait. On a l’habitude. Les Ricains font tout un foin pour entrer sur leur territoire, par contre une fois que vous êtes dedans, ils en ont plus rien à péter !
Cela dit, moi qui ne supporte absolument pas "la ville", il faut bien reconnaître que
New-York dégage une énergie phénoménale ! Et Central Park est bien plus nature que ce que j'imaginais... A faire une fois dans sa vie.

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