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Journal de Bord - Canal de PANAMA

Photo du rédacteur: Jérôme DelireJérôme Delire

JOURNAL DE BORD ROXY



11 février 2020 – JOUR 1 passage du canal de Panama –





-0630 AM-

Les couleurs du jour se dessinent peu à peu mais les premiers rayons du soleil sont encore absents, plus pour très longtemps. Plus possible de dormir ! Personnellement, je n’ai cessé de rêver de ce maudit canal toute la nuit, et pas spécialement entouré de licornes et d’arc en ciel multicolore !

Que de scénarios monstrueux ont bouleversé ma nuit… Panne de moteur, bateau suspendu par ses taquets, lignes d’amarrage brisée, Caro tombée dans le bouillon des chambres d’éclusages... Mon esprit allant même imaginer dans sa folie les portes des écluses se brisant entraînant ROXY et son équipage dans les profondeurs du Lac Gatún !! Quoi de plus classique que l’usine à rêve se mette à turbiner avant un jour un peu stressant, il faut bien l’avouer.

Vivement le lever du jour et un bon thé, le plus noir possible avec la plus haute dose de théine !


-0800 AM-

Remis de mes émotions, le café de Caro est prêt et nous pouvons entamer les derniers préparatifs. Les Handliners arriveront à bord vers midi. Comprenez que pour s’engager dans le canal de Panama, un bateau doit comporter minimum 6 personnes à bord. 1 Capitaine, 1 Pilote (Advisor mandaté par le canal), 4 Handliners, c’est-à-dire une personne d’équipage à chaque taquet. Dans notre cas précis, nous avons choisi de mandater auprès de notre Agent, 3 Handliners supplémentaires puisque nous ne sommes que 2 à bord de ROXY. Ce matin nous préparons les repas pour que Caro puisse être soulagée un maximum pendant le transit, découpe des fruits, cuisson du poulet…

A l’extérieur, je refais une énième ronde sur le pont pour m’assurer que tout est en ordre. Panneau solaire enlevé de son support, moteur hors-bord rangé à l’intérieur, le pont est épuré afin de circuler au mieux, les taquets sont dégagés de tout obstacle. Tout ce qui a pu facilement être démonté l’est.


-1100 AM-

Les Handliners que nous attendions arrivent avec les lignes d’amarrage et les défenses additionnelles. Un des nombreux avantages de passer par un Agent qui s’occupe de toute la paperasse et de l’organisation, c’est que les défenses sont de vrais bons pare battages, propre, souple. Ceux qui transitent en ayant fait les formalités eux-mêmes reçoivent de vieux pneus enrobés de plastique…

Juan et Nikki semblent être bons amis et ont la bonne vingtaine, Junior a quant à lui environ 45 ans, tous originaire de la région. Ils embarqueront à bord à 0100 PM, heure exacte de départ de la Marina pour la zone d’ancrage.





-0100 PM-

L’équipage est au complet, reste à rejoindre la zone de mouillage à l’extérieur de la Marina pour accueillir notre Pilote, qui arrivera par la mer. Le rendez vous est fixé à 0400 PM.

Le harbourmaster et les Handliners sont prêts à enlever nos amarres, j’allume les instruments et on peut démarrer. Là, à cet instant précis, quelque chose dont je me souviendrai toute ma vie se produit.

Le moteur NE DEMARRE PAS !!! «à=$µ@=Djùùùuu !!! En cause, la batterie moteur est à plat !!

Bordel de bordel, pourtant branchés à la prise de quai depuis 3 jours, elle est plate de plate. Merdoume !!! Heureusement, lors de notre prépa, j’ai pensé à brancher notre générateur également sur notre batterie moteur. Et les 1000w de notre groupe ont pu booster notre batterie pour que le moteur puisse démarrer. Ça commence bien !!! Jamais je n’oublierai la tête de Caroline, de nos trois Handliners, la tête du harbourmaster et des voisins de ponton… Le gag est bel et bien arrivé !!

Note à moi-même : « pour notre prochain tour du monde, démarre ton moteur tôt le matin connard ! ». Disons qu’avant le départ, je n’étais déjà pas très calme, mais là il est vrai que le stress est monté en flèche. Bref, nous réussissons à sortir de la Marina et à nous mettre dans la zone d’ancrage, indiqué par les Handliners qui ont visiblement plus d’une centaine de transit chacun à leur actif ! Génial aussi de voir que le plus jeune d’entre eux prend la VHF en main et gère l’appel au Cristobal Signal Station pour signaler notre position et notre attente. Quoi de plus agréable de voir que l’appel est passé en deux secondes et est clair pour tout le monde. Dans l’immensité de la baie, n’oublions pas que si un Pilote prévu pour le transit ne trouve pas le voilier à l’ancre à l’heure prévue, le Capitaine reçoit une amende de 350 USD en plus du report de la date de passage.


-0230 PM -

Le lunch terminé, la longue attente commence. Je retrouve un peu les mêmes émotions des quelques heures avant de se trouver sur la ligne de départ des Voiles de Saint Tropez ou un peu avant une arrivée de port avec un 60 pieds sans son propulseur dans une petite marina bondée un 15 août et sous 25kts de vent établi… Cette pression qui monte… Un mélange d’appréhension, d’excitation, le goût délicieux du défi avec l’amertume du « et si ça foire ? ». Par expérience, je me rassure en me disant que dans le feu de l’action j’ai toujours su garder mon sang froid et qu’il n’y a aucune raison que ça se passe mal ici, tant que le moteur tourne !! Déjà 6 années et demi que Caro et moi tournons sur l’eau sans jamais vraiment poser le pied à terre. Quand ces émotions sont présentes, je suis comme un lion en cage, pressé d’en découdre. Caro le sait et elle gère remarquablement bien ce genre de situation… Elle absorbe la pression, ne navigue jamais à contre-courant lorsqu’il peut y avoir un désaccord. Attentionnée, elle détend l’atmosphère et semble au contraire apprécier le calme avant la tempête… Alors que moi, je préfère mille fois affronter la tempête plutôt qu’attendre !


-0400 PM-

Cristobal Signal Station nous annonce l’arrivée du Pilote prévue pour 0500 PM.

Deux autres voiliers sont maintenant à côté de nous, un à l’ancre, l’autre en standby. A voir ses allées et venues dynamiques entre les bateaux à l’ancre, le Capitaine ne doit pas être tout à fait calme non plus !


-0500 PM-

Une vedette arrive par l’Est à grande vitesse, m’est avis que c’est pour nous ! L’équipage se met sur le pied de guerre pour accueillir au mieux le Canal Advisor à bord de ROXY, les Handliners s’empressent de vérifier les pare battages sans que je leur dise un mot… (juste génial !)

Toujours impressionnant de voir un bateau-pilote arriver à moins de 50cm de notre coque… Les gouttes de sueurs déjà nombreuses sur mon dos ne font que perler davantage !! Manœuvre impeccable, la frayeur de l’impact entre ce monstre d’acier et notre petite structure en composite est passée, ouf ! Notre pilote, Hector, salue l’équipage d’une poignée de main ferme et enlève son gilet de sauvetage, après m’avoir ordonné de lever l’ancre, immédiatement.


-0600 PM-

Nous venons de passer sous le pont et distinguons à présent les deux entrées d’écluses. Sur la gauche, le nouveau canal accueillant les plus grandes forteresses des Océans, sur la droite, les écluses originelles créées en 1914. L’atmosphère à bord se détend progressivement. Nous sommes en attente car nous passerons derrière le cargo qui nous suit actuellement. Nous devons donc ralentir la cadence pour le laisser passer. On découvre notre Pilote, un bonhomme solide, casquette et lunettes de soleil ne laisse pas encore entrevoir son regard mais un large sourire illumine son visage… Quel bonheur d’avoir un Advisor qui a visiblement beaucoup d’humour ! Son calme déteint sur nous, et je pense que nous sommes entre de bonnes mains, il travaille pour le Canal de Panama depuis 29 ans !


-0630 PM-

Le soleil a disparu, les feux de navigation allumés, nous rentrons dans la première chambre…

Lorsque nous passons les portes démesurées, on ne peut s’empêcher de sourire en pensant à la petite écluse d’Oostende… Finalement, je crois que je suis tout aussi nerveux que lorsque je l’ai passé pour la première fois ! « Impressionnant » est un mot que nous avons à la bouche continuellement, il faut essayer d’imaginer que ROXY va monter d’environ 10 mètre par écluse ! Il y en a trois pour arriver au Lac Gatún.

Nous sommes trois voiliers, et nous passerons les trois premières écluses à couple. ROXY (38pieds) à l’extrême bâbord, LEF (43pieds) battant pavillon hollandais au centre et COMPROMISE (41pieds) battant pavillon américain à tribord. Nous sommes maintenant tous les trois bien attachés ensemble ne formant plus qu’un seul bloc. Le bateau central gère avant – arrière, les voiliers aux extrémités aident avec de temps en temps une marche arrière ou avant pour équilibrer l’ensemble. ROXY et COMPROMISE sont maintenant sous les ordres de l’Advisor du voilier central. La tension est bien palpable ! Je croise le regard du Capitaine de LEF et contemple la même appréhension dans ses yeux… Oula oula, les handliners et l’Advisor parlent entre eux, d’un ton sérieux et concentré, je m’empresse de savoir : « Quoi quoi quoi ?! » « Que se passe-t-il ?? » L’Advisor m’explique simplement qu’ils s’organisent entre eux pour les lignes… L’écluse est large mais avec les tourbillons de courant et les remous, l’objectif ultime est de rester à bonne distance des murs en béton brut. Si un voilier à l’extrémité venait à s’écraser sur un mur avec le poids des deux autres, il y aurait sans aucun doute des dégâts absolument dramatiques. Reste une question en suspens… Comment ROXY et COMPROMISE vont-ils pouvoir connecter leurs lignes d’amarrages en haut de ces monstrueux murs d’acier et de béton ?!

Entre en jeu, des spécialistes de la touline ! Comprenez une boule de la taille d’une balle de tennis, lestée, auquel est relié un fil de 5mm environ d’une longueur de 50 mètres. Attention toutefois à ne pas se prendre la touline en pleine poire sous peine de passer un long moment chez le dentiste… Qu’on se le dise, nos Handliners sont de vrais pros, le filin de 5mm à bord, ils s’empressent de connecter les lignes, lesquelles sont maintenant en haut des murs, prêtes à être fixées sur les bites d’amarrage éparpillées un peu partout. L’ensemble avance sans trop traîner, et nous sommes maintenant amarrés à moins de 40 mètres d’un monstrueux cargo. Sur le voilier à l’extrême droite, le couple est dans la même configuration que nous, ce sont de vrais pros qui gèrent les lignes.

Même dans l’action, malgré tous nos sens en éveil, on ne peut s’empêcher de regarder en arrière… Les gigantesques portes d’acier se ferment lentement sur la Mer des Caraïbes et l’Océan Atlantique. Caro n’est pas proche de moi à cet instant mais nous nous regardons, sans rien dire. Pas besoin de parler, le regard en dit bien assez… Voilà. On y est. Nous sommes bel et bien dans le fameux canal de Panama, la voie maritime la plus encombrée de la planète !


-0715 PM –

La nuit recouvre la scène, ou plutôt le jour artificiel commence. Tout le plateau est évidement complètement illuminé. Pour les cargos, le transit se fait 24h/24, 7 jours par semaine. Les trois écluses se succèdent, ROXY, LEF et COMPROMISE toujours soudés, avancent lentement au moteur pour passer dans la chambre suivante. Nous ne sommes donc plus soutenus latéralement mais nos spécialistes de la touline gardent nos lignes en main totalement détendues et suivent à pied, jusqu’à la prochaine bite d’amarrage. Très impressionnant, les cargos sont soutenus par six locomotives électriques qui suivent le déplacement du ship d’écluse en écluse. Imaginez une ligne de chemin de fer classique longeant les murs des écluses sur laquelle circulent les locomotives. Un câble d’acier relie le cargo et les locos en 6 points différents. 2 à l’arrière, 2 à l’avant et 2 au centre. Ces machines ont pour but d’éviter que le cargo ne touche les murs de l’écluse, et aident au déplacement du monstre d’acier. Imaginez la coordination nécessaire pour mener à bien la mission !

Ce système a toujours existé depuis la création du canal il y a un siècle, seule la puissance et le design des machines ont évolués… A notre gauche, au loin, on devine les lumières des nouvelles écluses et notre Pilote nous informe qu’un cargo utilisant les nouvelles écluses déboursera 1 million de dollar pour le transit ! Il nous avoue également que le transit de voiliers n’est nullement rentable pour le canal et qu’il faut voir ce passage comme un service rendu par la compagnie Panaméenne…




-0800 PM-

Les portes de la dernière écluse s’ouvriront dans quelques instants, gare aux remous provoqués par l’hélice du cargo lorsqu’il sortira ! Nous restons bien amarrés le temps que le cargo se dégage de la chambre puis vient notre tour. Les joueurs de touline larguent nos amarres du mur et nos handliners reprennent les lignes à une vitesse fulgurante… Good job guys ! Toutes nos amarres ? NON ! Une amarre arrière reste trop longuement accrochée au mur ! Corne de brume, sifflements, personne en haut du mur pour larguer ! l’Advisor attend encore quelques secondes de plus, il décidera alors d’ordonner sur le champ la libération complète de l’amarre sous peine d’avoir des ennuis pour maintenir l’équilibre. Ouf ! Un employé arrive en courant et nous libère !

Nous avançons lentement, ROXY et COMPROMISE au point mort, seul LEF nous tire en dehors de la dernière chambre. Hop, à moi de mettre un peu de gaz – STOP – point mort. OK gaz à nouveau. Les instructions de l’Advisor sont claires, précises et je m’exécute sans discuter. Dès que nous passons les murs, nous nous déconnectons de LEF et partons plein pot dans la nuit noire vers de lointaines marques spéciales. Evidement, il fait nuit et nous sortons à l’instant d’une zone de lumière dense, reprendre possession de ses moyens demande un peu de temps… Notre Pilote connaît évidement la zone par cœur et je me fie complètement à ses instructions. Je jette un rapide coup d’œil sur la carte non pas pour le manque de confiance mais il est toujours important pour moi de savoir où je suis et où je vais !


-0830 PM-

Une courte navigation au moteur nous amène sur la zone de corps mort où nous passerons la nuit. Il fait totalement noir, on ne distingue pas grand-chose et il est agaçant de constater que tout l’équipage de ROXY voit maintenant le corps mort, sauf moi ! Grrr ! Etant donné que nous ouvrons la marche, personne devant pour confirmer l’approche. Le Pilote me conseille de ralentir car nous arrivons un peu vite, - je suis à 1,5kts ! - ah ! ça y est ! Je la vois ! Toute grosse bouée rouge, heureusement en plastique rigide, nous devrons nous amarrer avec la bouée au centre de la coque, COMPROMISE la partagera avec nous. Amusant de voir notre pilote persuadé que j’arrive un peu vite mais sûr de moi, je prends la bouée facilement du premier coup et en douceur. Ce qui n’est pas vraiment le cas de notre voisin qui jouera du moteur et du propulseur pendant un long moment avant de réussir à prendre cette bouée simple, manquant de nous harponner l’étrave. Je ne le blâme pas et cette situation qui peut sans doute prêter à sourire ailleurs ne l’est pas ici. Nous sommes tous crevés. Vidés. Ce cocktail d’émotions nous a tous épuisés.

Le bateau-pilote est déjà là et notre Advisor quitte le bord rapidement sans prendre le temps de boire un verre. Le rendez-vous est donné demain 0830 AM.

Il est 0900 PM, nous décapsulons tous ensemble une Corona bien méritée… Nous venons d’entrer sur le Lac Gatún, ROXY baigne en eau douce entourée d’une faune extraordinaire !


-1000 PM-

Caro a parfaitement bien assuré le repas du soir pour 5 personnes après cette dure journée. Nous sommes les premiers à aller nous coucher ! Juan et Nikki dorment dans le carré, Junior dort dans le FatBoy, allongé dans le cockpit. Les équipages des autres bateaux sont aussi en début de nuit, il n’y a plus un bruit, pas une ondée de vent ne caresse le lac ce soir, il fait donc très chaud !



12 février 2020 – Jour 2 passage du Canal de Panama –


-0700 AM-

Le réveil n’a pas eu besoin d’exprimer sa désagréable sonnerie, premier levé, ma nuit a été relativement courte. Premièrement, Il faut bien avouer que Nikki et Junior ont donné le tempo toute la nuit, un vrai concours musical dont je me serais bien passé. Et deuxièmement, l’idée de savoir que peut-être le moteur ne démarrerait pas, m’a angoissé pendant de longues heures… Bon, il est où mon thé, il est où ?!?


-0730 AM-

Tout le monde debout, un délicieux mélange d’odeur se dégage de l’habitacle… Quatre personnes dans un lieu confiné sous des chaleurs tropicales annoncent toujours un agréable parfum. Seul Junior en échappe, lui qui a passé la nuit à l’extérieur. Malheureusement, la petite baignade n’est pas au programme. Le danger de nager dans ce royaume des crocodiles est bien réel… !

Bon, le moteur démarre-t-il ? Grâce au générateur, oui ! OUF !




-0830 AM-

Petit déj terminé, tout l’équipage est prêt pour la venue du Pilote. La vedette est déjà à vue, bien à l’heure, et nous ne tarderons pas à accueillir notre nouvel Advisor, Edouard.

Pas de perte de temps inutile, nous aurons bien l’occasion de parler tout au long de la traversée du lac ! Une fois à bord, les amarres sont larguées et nous sommes le dernier bateau de la file indienne.


-0930 AM-

Notre Advisor nous semble bien sympathique ! Un homme d’une bonne quarantaine d’années, dynamique, il présente bien et est absolument ravi de notre protection solaire ! Il faut bien avouer que ce matin, sous les bons conseils de Junior, placer le taud de soleil s’avère absolument nécessaire… 28Nm nous sépare des prochaines écluses, soit un peu moins de la distance totale de la côte de notre bon Royaume de Belgique, le tout sous un cagnard tropical. Il ne faut pas traîner, au moteur nous sommes clairement le voilier le moins rapide des trois. Heureusement du vent d’Est s’engouffre dans la zone, faisant grimper un court instant la vitesse de ROXY à 6.8Kts. La vitesse minimale autorisée sur le transit est de 5kts.


-1030 AM-

Le temps passe et nous longeons strictement toutes les bouées du chenal principal. La zone est immense faisant apparaître une végétation spectaculaire, une jungle qui semble totalement impénétrable. Beaucoup d’oiseaux, divers rapaces avec des envergures impressionnantes et les pélicans qui survolent ROXY nous transportent dans un autre temps… Le lac Gatún est en réalité un parc naturel protégé depuis des décennies. Aucune habitation, seul un centre de recherche aperçu au loin entre deux ilots semblent abriter nos congénères. A mes yeux, il est toujours aussi amusant de constater les petites incohérences humaines, aucune restriction concernant le passage des cargos dans le lac Gatún n’existe. C’est-à-dire que des pétroliers et transporteurs en tout genre de matières dangereuses passent dans le parc naturel. Don’t forget guys, nature is good – money is better !


-1200PM-

Comique de voir l’équipage bouger sur le pont en suivant le mouvement du soleil ! Tous, recherchant désespérément le moindre coin d’ombre. Il faut dire que le soleil brûle et il brûle fort. Tantôt du vent, tantôt pas un souffle, passant d’une fournaise à une zone ventilée, les miles se parcourent le plus vite possible et la distance s’allonge entre les voiliers.

Le passage des immenses cargos le long de la jungle est une image particulière, d’autant que les bouées du chenal sont à certains endroits à moins de deux mètres de la berge ! D’une moyenne de 16 mètres partout, le chenal est parfois dragué et continuellement contrôlé. Un va et vient de remorqueurs aident les cargos à prendre les virages un peu courts et des « Security Patrol » sillonnent le chenal en permanence. Petite note amusante, j’ai eu le malheur de poser la question à l’Advisor : « Qu’est-ce donc toutes ces antennes blanches ? Meilleure réception cellulaire sur le lac ? » Bravo Jérôme ! Ce sont les feux d’alignement indispensable pour le passage des cargos de nuit évidemment !


-0100 PM-

Nous mangeons en passant dans la partie la plus étroite du chenal, creusée dans la roche il y a une centaine d’années. Imaginer ce que ce travail a dû représenter est difficile, la zone est également volontairement dépourvue de végétation pour accroître la visibilité du chenal. En plus des bouées latérales, il est également éclairé de nuit par des lampes tout le long de la berge.

Nous approchons des trois dernières écluses et le programme n’est pas tout à fait clair. Normalement, ROXY et COMPROMISE étaient prévu de passer côte à côte, LEF étant à couple d’un remorqueur. Ensuite, changement de programme, nous passerons tous les trois ensemble, comme la veille mais nous passerons qu’avec le troisième cargo derrière nous. Ce qui ne ravi pas notre Advisor car c’est évidemment beaucoup d’attente…


-0130 PM-

Beaucoup de discussions entre l’Advisor et la centrale, par VHF, par téléphone, OK, changement de programme : GO !

Loin derrière les deux autres voiliers, ROXY reçoit ordre de foncer, poignée de gaz au maximum, il faut rattraper le cargo juste devant nous et s’engager dans la chambre avant lui, les voiliers groupés comme hier ! VROUM, à fond, ROXY passe à moins de 10 mètres d’un véritable mur d’acier, un transporteur de véhicules retournant au Japon. Ça y est, nous sommes dans la chambre, vite il faut se positionner devant la porte pour que le cargo puisse rentrer à son tour. Impressionnante est la vue depuis le pont de notre IMX, nous surplombons d’une dizaine de mètres l’eau devant nous !





-0200 PM-

Les portes s’ouvrent, plus que deux ! Dans la précipitation, notre étions rentrés dans la première chambre avec LEF contre le mur, puis COMPROMISE à couple, puis ROXY. Ce qui n’a pas plu aux Advisors. LEF reprendra sa place centrale pour la prochaine écluse. Nous traversons le petit lac avant la suivante. Ce qui nous laisse largement le temps pour nous réorganiser. En plus, nous devons attendre que le cargo derrière nous sorte lentement de la chambre précédente pour venir avec nous dans la suivante.


-0230 PM-

Nous sommes actuellement entre la deuxième et troisième écluse. La dernière. L’ultime !

Ici, la sensation est particulière. D’abord par l’ambiance qui y règne. Imaginez des locomotives dans tous les sens, une tour de contrôle, des bites d’amarrages de couleur jaune partout, des dizaines d’hommes en uniforme, casques, gants et radio à l’oreille. Une chaleur tropicale, les pélicans toujours dans les parages, et une voix qui résonne dans tous les vieux hauts parleurs de la zone... Vous voyez la scène ? Mais si, souvenez-vous des vieux films de « James Bond » des années 70, où la tanière du « méchant » équipée d’un monorail avec des barils colorés de pétrole et d’huile derrière lesquels les méchants se camouflent pour l’assaut final. Des véhicules bizarres et surtout une voix résonnante laissant entendre un son inaudible tellement cela résonne… C’est tout à fait ça. Nous sommes en plein plateau de tournage d’un vieux « James Bond » ! Un peu plus en hauteur, un grand bâtiment récent surplombe le plateau avec une cinquantaine de touristes venus visiter les lieux. Car, on a tendance à l’oublier mais outre la possibilité de passer de l’Atlantique au Pacifique ou inversement, le canal de Panama est également un monument historique vivant ! Clairement, ROXY évolue à cet instant entre des murs qui n’ont plus été modifiés depuis leur création, en 1914. Nous sommes véritablement au cœur d’un monument historique. Plus au loin, comme côté Atlantique, les nouvelles écluses tournent également à plein régime.





-0245 PM-

Ça y est, nous sommes tout contre la dernière porte ! Nous surplombons le Pacifique. Tellement d’émotions me parcourent à ce moment qu’il est difficile de décrire l’instant ! Caro, tout sourire, est émue, tout comme moi. Malgré une lutte rude contre la fatigue accumulée ces dernières heures, la chaleur écrasante, le manque d’air dans les chambres, cet univers de béton et d’acier qui reflètent encore plus les conditions tropicales, ces tonnes d’acier devant moi symbolise tellement de choses ! Un rêve de gosse, deviendra réalité dans quelques minutes. Peu importe ce qu’il se passera, j’aurais au moins mis la quille une fois dans le plus grand Océan du monde ! L’eau s’évacue à une vitesse impressionnante, nous descendons le long des murs, nos Handliners toujours à l’affût. Bien régler les amarres en rapport avec la vitesse de descente est capital ! Les portes s’ouvriront dans quelques secondes et notre Advisor me réexplique la manœuvre. Si en arrivant sur le lac Gatún, la sortie de la chambre ne pose pas trop de problèmes, celle-ci en revanche est dangereuse. Quand les portes s’ouvriront, il faudra négocier un courant énorme. Les remous de l’écluse combinés avec le courant de la marée n’est pas une situation à prendre à la légère surtout avec un bateau si peu motorisé comme le nôtre. C’est la raison pour laquelle les voiliers sont toujours placés devant le cargo dans les dernières chambres d’éclusage. Autrement ils devraient en plus négocier le flux dangereux du cargo se déhalant vers la sortie. Tenons à l’esprit que contrairement au côté Atlantique, ici il y a 6 mètres de marnage !






-0300 PM-

Les immenses portes s’ouvrent lentement, ROXY se laisse baigner d’une eau salée totalement inconnue, des tourbillons impressionnants se créent au fur et à mesure de l’ouverture et les bateaux dansent dans ces marmites semblables à celles rencontrées dans le Raz Blanchard…

A cet instant précis, notre regard porte vers l’étrave et l’horizon ne nous a jamais semblé aussi vaste qu’aujourd’hui... !

Peu avant l’ouverte complète, l’Advisor du bateau central signale avec sa corne de brume de larguer les amarres. Les lignes tombent à l’eau une par une, Juan aidé de Nikki les remballent à toute vitesse à l’avant, Junior gère l’arrière avec Caro pour éviter que l’amarre n’arrive dans l’hélice. A cet instant, je sens l’amarre filer à toute vitesse dans mon dos car Junior surplombe mes épaules, moi protégeant au mieux ma poignée de gaz toute fragile… CLONG, les portes sont à peine rangées dans leur logement et c’est le signal pour mettre les gaz ! L’amarre arrière n’est pas encore totalement à bord mais il faut y aller ! Les trois voiliers de front mettent ensemble les gaz pour sortir du bouillon avec un max de vitesse. On lit clairement toute la tension sur le visage des différents Advisors, il faut sortir en étant le plus centré possible entre les murs ! Aaahh nous avançons un peu de travers ! L’ordre tombe à l’instant, faut que je mette plus de gaz ! Rectification… OK ! Ça y est !

Quelques centaines de mètres plus loin, nous pouvons nous déconnecter !





-0400 PM-

Nous venons de passer en dessous de l’impressionnant « America’s Bridge » marquant bientôt la fin du chenal, et le bateau-pilote nous escorte vers la zone où Juan, Nikki et Junior descendront avec le matériel. Merci à eux, à notre Advisor et à notre Agent. Clairement, il est apparu que l’expérience des Handliners avait fait toute la différence dans ce genre de situation. On ne s’est finalement jamais senti en difficulté et le bateau n’a jamais été en danger.


-0500 PM-

La journée se termine, nous sommes exténués mais heureux !

A l’ancre pour la nuit, nous contemplons Panama City. De loin semblable à Long Island, la lumière descend peu à peu et se reflète sur les immenses gratte-ciels. Nos voisins de mouillage sont de vieilles plateformes de travail, remorqueurs ou vieux bateaux d’expédition. Quelques voiliers, pour la plupart à l’abandon, seulement une dizaine de voiliers semblent se préparer à en découdre avec l’Océan Pacifique, ce que nous ferons dans quelques jours ! 4000 Nm (environ 7200 Km) nous sépare de Hiva Oa, première île des Marquises.







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