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26 jours au cœur du PACIFIQUE

Photo du rédacteur: Jérôme DelireJérôme Delire

21 février 2020

-1200 PM-

Le moment est venu de larguer les amarres pour l’inconnu.






Les pleins d’eau et de carburant sont faits, nos passeports sont tamponnés, c’est parti pour un slalom entre les centaines de cargos à l’ancre dans la baie de Panama City ! Océan Pacifique : nous voilà !




22 février 2020


-1200 PM-


180 Nm parcourus pour cette première journée de mer ! Belle moyenne, c’est encourageant ! Il faut dire que nous sommes un peu aidés… Un courant assez fort (jusqu’à 2 Kts) nous porte vers le Sud-Ouest. Quoi demander de mieux ? Nous essayons de garder ROXY sur cette veine de courant le plus longtemps possible, aiguillés bien entendu par notre programme météo préféré… ! Puisse cette première journée être un modèle pour les suivantes ! Une petite bonite pêchée quelques heures après le départ, un beau et généreux soleil, du vent, ciel étoilé -mais sans lune-, tout est réuni pour bien débuter le périple !





24 février 2020


-1100 AM-


Le vent s’en est allé cette nuit et c’est souvent lorsque le vent disparaît qu’il y a le plus de boulot à bord ! Le vent devient irrégulier tant en direction qu’en intensité, nous obligeant à régler ou changer constamment les voiles pour avancer. Toujours sous spi depuis cette nuit, c’est la seule option qui nous permette d’avancer pour le moment... Heureusement, le courant portant nous aide toujours à engendrer des miles dans la bonne direction, ce qui est bon pour le moral ! Mais… le moral va bien je vous rassure ! Ce matin, on a décidé de plonger dans les eaux turquoises du Pacifique ! Les voiles sont amenées complètement, le bateau ralentit peu à peu et déjà le premier orteil touche timidement le premier échelon submergé de la petite échelle de bain… Aaaahh incroyable… ! La température de l’eau doit avoisiner les 30°C, un bleu profond qui vous donne le vertige, pas étonnant si on en croit la carte, nous n’avons pas moins de 4000 mètres de fond sous les pieds ! C’est curieux comme dans ce genre de situation, votre imagination ne peut s’empêcher de penser à « Moby Dick », aux « Dents de la Mer » ou encore à toute cette ciné-thèque telle que « En Eaux Troubles » et compagnie ! A ce film atroce où tous les occupants du bateau vont à l’eau et celui-ci s’éloigne peu à peu, devenant impossible de remonter à bord faute d’échelle de bain déployée… Rassurez-vous, on se baigne chacun à son tour et attaché ! ROXY se déhale dans la pétole, avançant lentement entre 2 et 3 kts. A cet instant, on se félicite d’avoir choisi un bateau comme l’IMX, si léger, bien toilé, parfait pour traverser ces zones calmes !





-2300 PM-


Je passe la tête hors de la descente pour jeter un œil au spi et à nos deux porte-conteneurs, FSSHHHH. Hey ! Dauphins ! Ma puce, dauphins ! On se place dans le cockpit, attendons quelques secondes, hop ! Ça y est ils sont là ! On se dirige prudemment vers l’étrave… Epoustouflant. Tout simplement époustouflant ! Malgré la vision de centaines (milliers ?) de dauphins auparavant, nous sommes à chaque fois bouche bée devant un tel spectacle ! Lorsqu’il y a une nuit sans lune, couverte d’étoiles, les vagues que forment le bateau parce qu’il avance vous dévoilent des millions d’étoiles scintillantes dans l’eau, aux reflets fluo… C’est le plancton abondant qui se reflète à la lueur des étoiles. Semblables à un avion qui laisse une trace éphémère

de son passage dans le ciel, lorsque les dauphins se déplacent à toute vitesse, ils laissent derrière eux une longue trainée de millions de petites étoiles scintillantes ! Et quand ils se déplacent en groupe, dans tous les sens, désordonnés, passant de gauche à droite, de droite à gauche, accélérant devant l’étrave, une multitude de trainées d’étoiles vous laisse sans voix ! La magie opère réellement quand vous ne distinguez plus l’horizon… Les étoiles du ciel, posées sur l’eau, semblent se mélanger au plancton scintillant. Vous êtes là debout, tenant d’une main l’étai et votre esprit imagine alors les dauphins évoluant tantôt dans l’Océan, tantôt dans le ciel… Le bruit du bateau qui glisse sur l’eau, la voile qui frissonne, le son des évents des spécimens qui respirent en surface, et celui de la queue du dauphin plongeant dans l’eau… C’est ça la magie de l’Océan, et ce sont bien ces moments purs que nous sommes venus chercher. Caroline se tient juste devant moi, mon visage à moitié dans ses cheveux, son corps presque nu contre le mien… Cet air agréable des premiers jours de printemps, ni trop chaud, ni trop froid, comme celui que l’on a presque oublié après un hiver rude. Vous contemplez ce spectacle unique et vous vous sentez apaisé… En paix. Ma main glisse le long de son cou jusqu’au bas de son dos, des caresses, un baiser, ces dauphins nous offrent un moment de tendresse inoubliable…





25 février 2020


-0230 PM-


Il fait chaud. Très chaud. 34°C à l’intérieur du bateau, pas d’air, on perle ! S’exposer au soleil n’est plus possible et se réfugier dans l’habitacle aux heures les plus chaudes de la journée est la moins mauvaise option. De toute façon, aller au café du coin boire une bière bien fraîche sous une terrasse ventilée n’est pas envisageable ! Cette après-midi, atelier pêche ! Je m’étonne de ne plus avoir de prises depuis la bonite du premier jour… On coupe, on refait les lignes, il faut avouer qu’on a beaucoup compté sur la pêche pour nos apports en produits frais lors du voyage, donc… on se met au boulot. Je ne suis absolument pas spécialiste, certains vous diront que la pêche est une science, que dis-je, un art. Je veux bien les croire ! Ça me rappelle mon enfance lorsque mon père m’emmenait à la pêche avec ses amis. Qu’on se le dise, on était finalement tous là plus pour passer un bon moment ensemble que véritablement chasser le poisson… Cela dit, quand j’y repense, si mon père avait passé moins de temps à démêler les lignes que j’envoyais régulièrement dans les arbres derrière moi, on serait certainement rentré à la maison moins « broucouille » pour le repas du soir :-))) ! Et ma mère, un sourire aux lèvres, lui aurait sans doute évité l’affront d’aller chercher un spécimen à la poissonnerie du quartier ! Mais ça m’a appris quelques astuces dont je me sers toujours aujourd’hui… Entre autres le fait que lorsque ça ne mord plus, faut changer de tactique !





27 février 2020


-0400 AM-


ROXY évolue dans la nuit sans lune mais inondée d’étoiles ! Pas un nuage ne vient gâcher le spectacle, c’est tout simplement splendide. L’air s’est un petit peu rafraîchit, on s’entend, j’ai dû mettre un T-shirt à 4h du matin… Et ça fait du bien ! Difficile d’avancer avec ces petits airs, on enlève la grande voile, on la remet, finalement on l’enlève et on tangonne le génois… Toutes ces manœuvres mettent un peu d’action dans cette nuit paisible et ce n’est pas plus mal. Les oiseaux sont de plus en plus nombreux et quoi de plus normal car nous arrivons chez eux, aux premières îles de l’archipel des Galapagos. L’un d’entre eux a d’ailleurs passé une bonne partie de la nuit en prenant notre panneau solaire pour un perchoir !

Ça y est ! On distingue maintenant l’île Pinta et Marchena, mal évidemment car elles ne sont pas éclairées et avec une nuit sans lune, il faut être attentif, être sûr et certain d’être à la bonne position pour ne pas titiller les cailloux de trop près ! Quelques étoiles filantes illuminent le tableau déjà grandiose, une belle récompense après 5 jours et demi de navigation depuis le Panama.


-0700 AM-


Le soleil se lève et avec lui une décision à prendre. Changement de programme. Le choix n’est pas simple et je me le pose depuis quelques jours déjà, prendre la route sud ou la route nord ? La route directe vers les Marquises passe à travers le pot au noir, cette zone instable avec des grains pluvieux, souvent orageuse, très peu de vent, bref une zone à éviter si possible ou à traverser rapidement au moteur. Etant donné notre choix de partir léger et donc avec peu de carburant, nous ne pouvons pas nous permettre de traverser cette zone complètement au moteur. Nous n’en avons tout simplement pas l’autonomie. En ce moment, cette zone fait environ 300 miles de long sur 180 miles de large et les prochains jours elle tend à se déplacer plus au nord, vers l’équateur et au-delà.

La décision est donc prise à l’instant, on prend la route sud. Les derniers fichiers météo pris il y a une heure montrent que c’est la moins mauvaise solution, il faut descendre vers le 4ème parallèle sud pour pouvoir bénéficier d’alizés plus ou moins établis. Et une zone de vent léger mais suffisant est disponible les prochains jours au sud des Galapagos contrairement à la partie nord de l’archipel. On en profite donc pour passer au cœur des îles à défaut de s’y arrêter faute de budget… Faudra revenir ! L’île Marchena passée, nous mettrons le cap vers le SSO. Je suis un peu mitigé de cette décision tardive… Le fait d’avoir attendu rallonge le parcours de pas mal de miles car nous faisons clairement une courbe très (trop) prononcée vers le sud, d’un seul coup. Mais je me dis premièrement, que ce n’est pas plus mal pour espérer voir quelques-îles depuis la mer, et qu’il vaut mieux que la décision soit tardive mais soit la bonne ! A défaut d’avoir du vent, il faut aller le chercher là où il se trouve.


-1100 AM-


Il fait caniculaire ! Pas un pet de vent, pas une ondée, le seul avantage c’est que nous pouvons observer facilement la faune grâce à cette mer d’huile… Et elle est abondante ! Ça saute de partout ! Ça chasse, les oiseaux volent dans tous les sens, ici il y a de la vie comme si tous les animaux de l’Océan s’étaient donnés rendez-vous entre ces îles ! Autrefois appelé l’archipel de Colon, lié à sa découverte par Christophe Colomb il y a bien longtemps, ce joyau du Pacifique a pourtant bien été le repère de pirates, de chasseurs de phoques et de baleines pendant des siècles. On ne peut s’empêcher de rêvasser à cette époque d’explorateurs… Beaucoup d’expéditions relâchaient souvent dans ces îles pour y embarquer des tortues géantes par centaines, qui survivaient longtemps dans les cales des navires et étaient un apport en viande fraîche lors de longs voyages. En 1835, le HMS Beagle avec à son bord Charles Darwin, relâcha cinq semaines pour une expédition qui confirmera plus tard sa théorie de l’évolution grâce à toutes ces fabuleuses espèces endémiques. De cette époque, il ne reste rien, ou presque. Les boîtes aux lettres sur l’île Floreana est encore la seule coutume qui perdure aujourd’hui, les marins y laissaient leur courrier que ferait suivre avec un peu de chance un prochain visiteur… Aujourd’hui appartenant à l’Equateur, les Galapagos sont un parc national protégé depuis 1959 et visité par des milliers de touristes chaque année. Quelques bateaux à touristes et scientifiques sont d’ailleurs visibles le long des côtes malgré un paysage épuré et bien verdoyant. J’imagine toutefois que les 20.000 habitants de l’archipel doivent se loger et fonctionner, ce qui doit légèrement dénaturer l’atmosphère et il ne faut pas tourner le dos à la réalité non plus, l’accueil des touristes et la visite des îles doivent certainement être un business très lucratif… En tout cas, de ce qu’on peut en voir très brièvement, il n’y a pratiquement pas d’activité humaine visible.

Les nuages qui sont sur les hauteurs des îles se dégagent peu à peu, laissant entrevoir les collines avoisinantes, et Il est vrai que le décor est spectaculaire. On distingue clairement des coulées de lave qui coupent la végétation brutalement, pas une habitation, pas une antenne, aucun témoignage de notre monde moderne ne semble gâcher le décor dans cette partie-ci de l’archipel. Voilà bientôt 6 jours que nous avons mis les voiles du Panama, une navigation facile, agréable et sans encombre et voici maintenant nos premières heures moteur. Normalement, avec ce choix de route sud, nous devrions réduire ce nombre au minimum, je l’espère !


29 février 2020


-0100 PM-


Le dernier ananas du bord est consommé. Encore 4 malheureux kiwis, et nous passerons aux fruits secs puis ceux en boîtes… Seules quelques tomates survivent avec un coup de frigo de temps en temps. Il faut dire que Caro avait pu trouver des exemplaires bien vertes avant le départ…


01 mars 2020


-1100 AM-


Le ciel est (enfin !) parsemé de nuages ici et là et offre quelques zones d’ombres bienvenues. J’en profite pour reprendre la barre quelques heures, et essaie de faire au mieux car la houle est désordonnée, désagréable depuis le 93° méridien. L’état de la mer est diablement plus mouvementé que la dizaine de malheureux nœuds que nous avons comme vent… Comme si un bateau moteur tournait régulièrement autour de nous, levant de petites vagues bien courtes et bien hautes. La bôme tape de temps en temps faute de vent, ce n’est ni agréable pour nous ni pour ROXY dont le gréement accuse le choc jusque dans son haubanage. Cela fait deux jours maintenant que nous avons le vent par 100° apparent bâbord amure et je commence à regretter fortement de ne pas avoir équipé ROXY d’un spi asymétrique qui aurait été bien utile ici ! Caroline se recouche, pas tout à fait à son aise avec ces mouvements chaotiques et elle a bien raison. La vie à bord continue malgré tout, production d’eau quand le soleil délivre le plus d’énergie, un petit coup de frigo de temps en temps, bricolages en tout genre, vaisselle, repas, douche, lecture… Un peu de pluie est venue rafraîchir l’atmosphère il y a une heure pour notre plus grand bonheur. Le cockpit de l’IMX n’est pas protégé du soleil ou de la pluie lorsque nous sommes en navigation. Pas de capote, seul notre équipement vestimentaire nous protège des éléments. Un essui de bain tendu avec des pinces à linges protègent l’entrée de la descente de l’agression des rayons du soleil, laissant passer le peu de vent qui s’engouffre dans l’habitacle… Les écrans électroniques extérieurs sont masqués lorsque nous ne les utilisons pas et les winchs non-utilisés sont couverts d’un linge pour les protéger au mieux de l’agression des UV. Nous sommes bientôt au 4° parallèle sud et l’objectif météo est atteint. Nous sommes maintenant dans une zone où le vent sera normalement plus stable, plus régulier les prochains jours et nous pouvons enfin mettre le cap direct sur Hiva Oa. Les moyennes journalières (environ 140 Nm) restent correctes malgré ce vent léger, heureusement un peu de courant nous aide vers l’Ouest depuis que nous nous sommes éloignés des Galapagos.





02 mars 2020


-0800 AM-


« Caro ? Caroooo ? Ma puce ? » lançais-je derrière la barre en surfant sur une vague à plus de 9kts.

« Quooii ? »

Ou plutôt, d’une voix encore à moitié endormie : « kwaaaa ? ».

« Viens m’aider à affaler le spi ! ».

Le vent refuse un peu, il forcit et je suis crevé. Ma nuit a été courte, je n’ai pas su dormir, toujours à trouver le bon réglage qui nous ferait avancer le mieux possible. Caro ne tarde pas à arriver dans le cockpit, gilet sur les épaules. J’abats sous pilote, on déploie le génois, borde l’écoute de spi, tout est prêt. Le bras est largué à toute vitesse et la drisse suit dans la foulée. Dans un bruit de faséiement, la voile est ramenée sans difficulté en quelques secondes au fond du cockpit. Il faut dire que nous connaissons cette manœuvre sur le bout des doigts… Plus tôt dans la nuit, je l’avais hissé seul sans encombre mais avec un peu plus d’air, c’est toujours une sécurité d’être à deux pour éviter de le déchirer en amenant les 120m² de toile à ses pieds. Sitôt fait, le temps de reprendre le bon cap et Caro a déjà déconnecté le bras et la têtière. C’est tellement agréable de faire une manœuvre sans un mot, sous le son des winchs et des cordages qui filent dans les réas, un simple regard suffit à enchaîner les mouvements précis d’une manœuvre pleinement réussie… Hier dans la journée, nous avions d’ailleurs accusé notre premier départ au tas du voyage. Comprenez que dû à une rafale de vent ou une vague plus haute que les autres, le bateau prend un coup de gîte brutal et se couche sauvagement. Plus le bateau prend de la gîte, plus le mouvement s’accélère jusqu’à poser la tête du mât dans l’eau… Le bateau alors complètement sur la tranche, provoque une situation devenant très dangereuse tant à l’intérieur de l’habitacle que sur le pont, le risque de se blesser ou de tomber à l’eau est bien réel. Nous n’avons heureusement pas été jusque cette étape hier, la tête de mât s’étant arrêtée à quelques mètres de l’eau… Lorsque je repris la barre en main, pilote automatique débranché, je criai à Caro d’attendre quelques secondes encore avant de larguer en grand l’écoute, seule possibilité pour remettre le bateau plat et reprendre le contrôle. Heureusement pour nous, une mole de vent réussit à nous dégager du vent, et à reprendre notre route en toute sécurité.

Cela m’était déjà arrivé en pleine traversée de l’Atlantique sur un 45 pieds, sous spi asymétrique dans un vent soutenu. Je me rappelle mon erreur de ne pas avoir abattu franchement après avoir senti soudainement le vent froid caresser mes épaules… Trop tard. Quelques secondes plus tard, le bateau se coucha complètement, tête de mât dans l’eau !

Et lorsque dans la précipitation, un équipier largua l’écoute, un nœud se forma au réa, accentuant encore notre détresse… Etant le seul à avoir un couteau sur soi, je tranchai immédiatement le cordage et le bateau se remit enfin à plat. Nous avions finalement pu récupérer le spi, difficilement mais sans dégât… Seule la girouette fut complètement défoncée ! Une expérience enrichissante mais dont on se passerait volontiers… ! Dans ces moments-là, le plus gros danger est sans aucun doute la perte d’un équipier par-dessus bord, ou les blessures qu’une telle situation peut infliger. Avec Caroline, les consignes lorsqu’on navigue sous spi sont très claires. Si l’un de nous venait à tomber à l’eau sous symétrique, la première chose à faire est de trancher tout ce qui retient cette voile au bateau afin d’entamer au plus vite le demi-tour vers la personne tombée à l’eau. Larguer écoute et bras, lorsque le spi flotte en tête, trancher la drisse. Une fois la voile envolée et dégagée du bateau, il est alors possible d’entamer la manœuvre de récupération. Chaque navigateur sait à quel point chaque seconde compte dans ces moments-là, surtout lorsque la mer est formée et que le bateau file à plus de 10kts…





04 mars 2020


-0600 AM-


Deux nuits épouvantables l’une à la suite de l’autre. Les conditions de mer sont vraiment désagréables, toujours ce clapot court et désordonné. Et la nuit, le vent tombe et l’arrivée de quelques grains demandent de l’attention. Contrairement en Atlantique, les grains ici font tourner le vent de plus de 150° ! C’est énorme et étant sous grande voile avec bastaque, c’est même dangereux. Une retenue de bôme évite le drame même si nous savons tous qu’il faut faire attention à ne pas plier l’espar en deux... Evoluer avec ces conditions demande de réajuster la trajectoire continuellement. Le pilote en mode vent n’est pas une bonne idée, les accélérations étant trop brusques suite à un petit surf ou encore la direction et l’intensité du vent étant tellement instables que le pilote est complètement perdu. La voile claque très fort de temps en temps et ça met les nerfs à rude épreuve. La journée se passe globalement beaucoup mieux, les conditions de vent étant renforcées. ROXY a donc une bien meilleure vitesse (plus de 8kts de moyenne le jour) et subit moins les éléments. Mais malgré tout, la moyenne journalière reste impressionnante (160 Nm en 21h pour l’instant) et nous faisons route directe ! Aujourd’hui, nous avons définitivement perdu notre speedo… Un peu handicapant. J’espère secrètement que ce ne soit que le seul problème électronique de la traversée…


-0800 PM-


Ça y est ! Nous sommes exactement à la moitié de la traversée. La lune reprend ses droits petit à petit et illumine le plan d’eau, les nuages donnent des mélanges de luminosités étranges, splendides. Ici, il faut apprendre à apprécier les nuits autant que les jours car la lune et le soleil se partagent cet univers presque équitablement. Mais ce n’est pas grave, deux mondes différents sur un même Océan et le spectacle vaut largement le détour ! Le paysage peut paraître inlassablement le même et pourtant… Nuages, vagues, vent, les teintes de bleu, de gris, de blanc, de jaune, de rouge, de rose, de noir, les oiseaux et cette faune marine abondante font que ce lieu offre des moments qui ne ressemblent pas aux précédents et qui seront différents demain. Un mélange subtil d’émotions qu’il faut peut-être apprendre à ressentir et ici dans le Pacifique Sud, le temps ne fait plus obstacle pour vous permettre de les apprécier… Vous prenez le temps car il vous est offert, vous en faites ce que vous voulez. Lorsque l’Océan vous le permet, la contrainte est minime. Bien sûr, le bateau exige de vous une attention particulière, il est votre plus grand plaisir comme votre plus grande source de problème mais vous admettez que cet univers a un pouvoir apaisant, vous faites la paix avec vous-même, loin des Hommes. Et même si le tête-à-tête avec un de vos congénères provoque parfois quelques petits désaccords qu’il vous faut gérer, le partage de ces émotions semble englober d’un voile tranquillisant toute forme d’animosité… Sans doute cette attention particulière que nous portons à nous-même, à l’autre ou encore au bateau est fatalement liée à l’isolement. Un isolement dont nous tirons bénéfice car veiller les uns sur les autres pour la survie est un fait. Et même si nous avons tendance à l’oublier quelques instants, ce milieu qui nous offre l’opportunité de nous révéler tels que nous sommes sans artifice, est bel et bien hostile. Bien entendu, le huis-clos doit fonctionner ou ce désert deviendra alors rapidement votre pire cauchemar. La capacité à vous remettre continuellement en question est de loin votre meilleur atout.

ROXY file dans la nuit et déjà quelques dauphins bien timides viennent surfer les vagues voisines… Quel univers magique.





06 mars 2020


-0430 PM-


Toutes voiles dehors, ROXY slalome entre les vagues, se fraie un chemin, maintient le cap plein Ouest. La lumière devient somptueuse, le soleil se déplace petit à petit devant l’étrave, offrant un contre-jour splendide dans le génois… Une journée s’achève très bientôt, les couleurs s’intensifient et quelques timides reflets de rose pâle commencent à se dessiner sur les cumulus environnants. Je suis debout sur la descente, les bras de part et d’autre des deux gros winchs qui trônent aux côtés du piano, une des meilleures places pour s’imbiber de l’ambiance qui règne ici… Caroline prend sa douche, déversant des litres d’eau de mer sur ses cheveux, le visage porté en arrière, le dos bien cambré. Les rayons du soleil bientôt couchant illuminent l’eau qui ruisselle sans discontinuer le long de sa peau bronzée, pendant que l’énorme barre à roue de ROXY située au premier plan tourne toute seule, obéissant sans discuter au pilote automatique. Mon regard est happé vers les petites gerbes d’eau blanches que l’étrave percute avec puissance et un groupe de poissons volants décollent à quelques mètres de la coque. Il faut dire qu’ils pullulent ici ! Il y en a beaucoup plus souvent qu’en Atlantique et lorsqu’ils volent, ils se déplacent parfois en groupe de plus d’une centaine d’individus… C’est fabuleux, ils sortent de la vague avec fougue et planent avec légèreté pour plonger dans la suivante quelques dizaines de mètres plus loin. Un peu comme les sauterelles qui s’éparpillent lorsque vous marchez dans les hautes herbes un jour d’été, l’ étrave qui glisse sur l’eau provoque régulièrement le décollage de ces animaux particuliers. Tous les matins nous retrouvons d’ailleurs quelques spécimens gisant sur le pont, les plus chanceux d’entre eux sont ceux dont on entend l’atterrissage... On se précipite alors sur le pont, cherchant à la lampe frontale le lieu du combat, et lorsque l’animal qui se débat à en laisser ses écailles est localisé, il retrouve son élément avec notre espoir que ce ne soit pour lui qu’une mauvaise expérience ! Les plus gros sujets font environ 25 cm et leurs ailes la taille de leur corps, et lorsqu’ils arrivent à passer par un hublot ouvert et atterrissent dans l’habitacle, vous pouvez imaginer qu’on ne peut s’empêcher de sursauter ! Depuis le Panama, nous avons déjà reçu la visite d’un gaillard dans le carré et d’un autre dans la salle de bains…

Je me souviendrai toujours de l’odeur ignoble d’un pauvre type oublié lorsque nous avons ouvert le coffre où il était depuis une semaine… !


09 mars 2020


-0830 AM-


Cette nuit, prise de ris pour soulager notre pilote dans cette grosse houle et c’était nécessaire au vu des rafales que nous avons eues. On ne peut que se féliciter également d’avoir matossé le plus gros du matériel sur bâbord, des détails qui font toute la différence sur cette si grande distance… Qu’il est agréable d’avoir de nouveau un peu frais la nuit ! Nous nous éloignons petit à petit de l’Equateur, nous sommes presque au 7ème parallèle, ce qui ne nous épargne pas de cette terrible chaleur la journée mais au cœur de la nuit, dormir avec un drap sur les épaules devient doucement une nécessité et c’est tant mieux ! Ce matin, tôt, largage des ris pour reprendre le dessus sur notre moyenne acceptable pour le moment, 6,8kts depuis Flamenco Marina… Il reste encore 1246 miles jusqu’aux Marquises et nous sommes au 17ème jour de voyage. Exactement le temps que ROXY a mis pour passer des Iles Canaries à la Martinique.





14 mars 2020


-1100 AM-


Il m’a fallu du temps pour comprendre. Comprendre comment ces skippers de course au large hurlaient de rage, coincés dans une bulle sans vent de la taille de la Wallonie. Ces récits de navigateurs pensant devenir complètement fous, stagnant parfois plus d’une semaine sur une mer d’huile. Et bien aujourd’hui, je pense pouvoir ressentir ce que ces aventuriers de l’extrême endurent. Cette pétole met les nerfs à rude épreuve ! Et comme si cela ne suffisait pas, on croirait qu’Eole nous lance de l’eau de mer en pleine face d’un ton moqueur. De l’eau de mer brûlante sous ce cagnard infernal, sans air, ne laissant plus qu’apparaître du sel sur des nerfs déjà bien à vifs. J’en ai marre ! La tension est palpable entre nous car je ne peux m’empêcher de pester contre ces conditions difficiles. Qu’il est agréable de naviguer par un bon 6 beaufort établi ! Au diable ces zones de calmes infernales, ce sentiment d’avoir pris perpétuité dans un désert où rien ne se passe. La seule issue viendra avec le vent, c’est pourquoi je me répète sans cesse, les yeux rivés sur notre programme météo, la souris de l’ordinateur fermement agrippée à ma main tendue, les yeux globuleux à quelques centimètres de l’écran ; « Ca va rentrer… Ca va rentrer… !! ».

Finalement vient une solution aussi inutile qu’illusoire, un petit coup de moteur. Ou plutôt, un petit coup pour le moral. Voir notre petit point avancer sur la carte et ne plus avoir à subir les mouvements du bateau tel un bouchon posé sur l’Océan, fait du bien.

Une petite pose natation s’imposera aussi d’elle-même pour remettre du baume au cœur et surtout faire baisser la température corporelle ! Bon d’accord, finalement il faut simplement apprendre à voir le positif dans chaque situation…





17 mars 2020


-1100 AM-


130 miles jusqu’à destination ! D’ici, on peut déjà humer les vapeurs de cocktails servis bien frais sur la terre ferme pour fêter l’arrivée aux Marquises ! L’arrivée est prévue demain après-midi et c’est la journée des préparatifs à bord ! On donne un petit coup de propre bien nécessaire, on rééquilibre le poids du bateau, on réorganise les couchettes en mode « croisière côtière ». Finalement il faut bien avouer que matosser aura été bien productif, surtout lorsque la mer était formée. Aucun regret. Nous sommes sous spi, il y a une bonne quinzaine de nœuds établis et nous sommes tranquillement en train de déplacer nos cinquante mètres de câblots et nos cinquante mètres de chaîne dans leur baille quand soudain… Caro me lance « STOP ! Faut s’occuper du spi, vite ! » Vu par le hublot de la pointe avant, le spi est complètement cocoté… Merdouuuume !! Comme si cela ne suffisait pas, le spi a fait environ 4 tours autour de l’étai et 3 tours autour du hale-haut. Quelle poisse. Les rares fois où cela arrive, on trouve toujours une parade pour se sortir du pétrin mais là… Une vingtaine de minutes plus tard, se voyant de l’impossibilité de démêler l’histoire, sans dire un mot et en soufflant, les gouttes de sueur perlant sur nos visages, on ne peut que pester. La seule solution, on la connaît et cela ne nous ravis pas ! Il faut monter au mât dégager la voile manuellement. On est grande voile haute, le spi, le génois, toutes les drisses sont utilisées et pas de balancine sur ROXY. Bon. Pas grave. Plein vent arrière, on commence par affaler la grande voile. On récupère la drisse et déjà je me prépare pour l’ascension, la boule au ventre, le goût de la sueur en bouche... Il y a environ 1,20m de creux, les poches de spi gonflées claquent dans tous les sens et l’idée de me retrouver pendu à ma ligne 19m plus haut ne m’enchante pas du tout ! D’autant que l’amplitude du mât dûe à la houle n’en sera que plus renforcée… ! La priorité est bien évidemment d’éviter tout accident, surtout ici. On décide donc de maintenir un peu de vitesse avec le moteur pour réduire le roulis et diminuer l’intensité du vent apparent.

Couteau en poche, chaussures aux pieds, harnais vérifié, l’ascension n’est pas simple car je ne peux pas me hisser moi-même, trop de mouvement de houle. Aussi, le mât est brulant et j’ai les mains moites… Caro me hisse à bout de bras, sur le winch. Nous avons un gréement en tête et il faut donc passer les trois étages de barres de flèches pour arriver au sommet et accéder à la têtière du spi. Un sommet qui paraît bien vite très très haut… Bon ! Ça y est, j’y suis ! Je décroche la têtière à la main sans effort et commence à défaire les tours. La toile est fortement étouffée, aucune pression heureusement… Dix petites minutes plus tard, la voile n’a maintenant plus qu’un seul tour et je la tiens encore en main, difficilement. Caro coupe les gaz moteur, stoppe le bateau pour éviter que la voile n’atterrisse dans l’eau trop vite, et se retrouve sous la quille… A cet instant, je lâche le spi qui continue de flotter dans les airs quelques instants et permet à Caro de le récupérer sans dommage sur le pont ! Bien joué ma petite louloute ! 120m² de toile à maîtriser, sans protection de vent, seule, sans sac ni chaussette et en évitant les pièges de déchirure tels que davier et chandeliers… Good job ! Je la laisse gérer l’affaire en prenant sur moi… La propulsion étant stoppée, le balancier s’accélère et devient vite infernal ! Je m’accroche à mon poteau comme un chat sur un tronc, toutes griffes dehors ! Hurlant comme un Oran outan de faire vite pour quitter cet enfer !

Que d’émotions ! Tout rentre rapidement dans l’ordre une fois sur la terre ferme. Ou plutôt, sur le pont mouvant. Et sans dégâts. Cela me rappelle une petite arrivée sur l’île de Bequia dans les Caraïbes par 30 nœuds de vent… Lorsque nous avions décidé d’affaler, la grande voile en avait décidé autrement. Un chariot était stoppé net par une minuscule petite vis, sortie de son logement sur le rail du mât. Et comme souvent, c’est évidemment la vis qui bloque un des chariots les plus hauts sur le mât, sinon ce n’est pas drôle… Je me souviens de cette ascension périlleuse, une ribambelle d’outils à la ceinture, le vent qui hurlait dans l’haubanage… Mais quand il faut y aller, faut y aller ! Certaines situations n’offrent pas toujours le luxe d’avoir le choix…


Mercredi 18 mars 2020


-0600 AM-


Le jour se lève doucement, le soleil entame sa lente montée à travers la masse nuageuse posée sur l’horizon. Ce lever de soleil est digne des plus belles toiles au monde, et il est néanmoins particulier puisque ses rayons illuminent les crètes des premières îles des Marquises… Moment délicieux, de voir ces masses sombres s’ériger de l’Océan, n’offrant pour l’instant qu’une ombre noire dont on ne distingue pas encore les contours. L’orage dont nous avons aperçu les éclairs cette nuit s’éloigne peu à peu faisant place à cette lumière encore bien timide et à ces couleurs fabuleuses… ROXY évolue toutes voiles dehors, et je prends plaisir à prendre la barre pour cette arrivée tant rêvée. On l’a fait. Nous avons traversé le Pacifique depuis l’Amérique du Sud. 4100 miles parcourus, 26 jours de mer tout juste, 40 litres de gazoil et 50 litres d’essence consommés. Aucun dégât, si ce n’est la perte du speedo et une petite déchirure dans notre grand génois. Nous entrons lentement dans ce gigantesque archipel d’îles éparpillées sur un territoire grand comme l’Europe… Fascinant. Et il nous tarde déjà de découvrir toutes ces merveilles ! Quel navigateur n’a pas un jour rêvé de naviguer dans ces eaux ? Est-ce parce que ces eaux se méritent durement après tout ce chemin parcouru ou sommes-nous réellement au cœur du véritable Graal de la navigation ? On a hâte de pouvoir répondre à cette question dans les prochaines semaines…






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